Depuis longtemps, l’UNESCO et les défenseur des arts des quatre coins du monde plaident en faveur d’un accès universel à des expériences artistiques et éducatives de qualité pour les enfants, les jeunes et les apprenants à vie, invoquant les nombreux avantages personnels, sociaux et scolaires que représentent ces expériences, tant pour les apprenants que pour leur milieu d’apprentissage et les communautés où ils vivent. De telles démarches demeurent tout aussi urgentes au sein des structures éducatives existantes et dans les conjonctures économiques qui les soutiennent. En même temps, le monde dans lequel nous vivons et les voies par lesquelles nous apprenons sont en train de changer de manière radicale et irréversible.
L’époque où l’enseignement et l’apprentissage pouvaient être circonscrits par un curriculum prescrit et linéaire, offert dans le cadre d’un système clos, appartient à un monde qui n’a pratiquement plus cours. Un tel curriculum n’est plus en mesure de refléter adéquatement la diversité des expériences des élèves, ni l’impact énorme de la prolifération des technologies. Les éducateurs doivent se préparer à faire face à un avenir où les arts seront appelés à jouer un rôle clé dans les modes d’éducation assistés par la technologie, un processus qui se déroulera dans des conditions économiques, sociétales et environnementales incertaines. Parallèlement, le domaine de l’éducation artistique devra faire plus que de simplement défendre ses propres intérêts, afin de repenser ses objectifs et ses méthodes de manière profonde et délibérée, dans le but de réaliser son plein potentiel.
Si notre planète continue de se réchauffer au rythme que nous observons actuellement, les gouvernements devront faire face à des niveaux de migration massive sans précédent, et à l’agitation civile qui l’accompagne. Alors que l’automatisation et l’intelligence artificielle continuent de remplacer la main-d’œuvre humaine, les jeunes se verront vraisemblablement obligés d’élaborer leur identité personnelle et sociale en l’absence d’emplois permanents ou fiables. Tandis que les technologies numériques dominent de plus en plus nos vies quotidiennes, la pertinence de notre modèle éducatif industriel actuel continuera de diminuer.
Du côté positif, l’avenir nous réserve des percées en matière de médecine, de communications et de déplacements, entre autres aspects de la vie. Le savoir dans tous les domaines scientifiques ne cessera de se développer et de s’approfondir. Des collectivités jusqu’à présent isolées auront désormais accès à des commodités qui ne sont actuellement disponibles que dans les centres urbains. Le potentiel des échanges et de la reconnaissance interculturels se trouvera accru par les avancées en matière de communications et de modes de transport durables. Néanmoins, même de telles percées apporteront leur lot de nouveaux défis. Nos besoins de services gériatriques augmenteront au même rythme que l’espérance de vie. Même si l’apprentissage machine continue d’appuyer les diagnostics médicaux, la sécurité publique et la détection de la fraude, ces nouvelles pratiques poseront de plus en plus de défis au niveau du respect de la vie privée et des actions humaines. Pour certains, les avantages d’une existence véhiculée par la technologie seront compromis par l’isolement social croissant, la cyberintimidation, et le recours à des activités socialement destructrices qui se trouve simplifié par la numérisation.
Pris comme un tout, ces changements s’avéreront extrêmement perturbateurs. Le statut quo n’y résistera pas. Dès maintenant, les éducateurs à tous les niveaux et dans tous les contextes doivent continuer de développer des manières de permettre aux futurs apprenants d’acquérir les savoirs, les compétences et la résilience dont ils auront besoin pour réussir dans le contexte où ils se retrouveront. L’éducation artistique peut contribuer de manière substantielle à l’existence de ces apprenants, non seulement en leur traçant une route vers la satisfaction personnelle, mais aussi comme moyen de communiquer, guérir, bâtir des cultures et des communautés, peu importe leur contexte et les technologies qui seront développées dans les années à venir.
Les éducateurs du domaine des arts disposent déjà d’un plan d’action mondialement reconnu, qui a cerné les priorités du secteur et qui propose une gamme de stratégies permettant d’atteindre ces objectifs. L’Agenda de Séoul : Objectifs pour le développement de l’éducation artistique a été endossé à l’unanimité par la Conférence générale de l’UNESCO en 2011. Ce document esquisse des mesures précises conçues pour atteindre trois principaux objectifs : 1) assurer l’accès universel à l’éducation artistique; 2) assurer la grande qualité des programmes d’éducation artistique; et 3) recourir à l’éducation artistique pour aider à résoudre les graves problèmes sociaux et culturels auxquels notre monde est confronté. En raison de son caractère exhaustif et de sa reconnaissance universelle, L’Agenda de Séoul fournit d’excellentes bases sur lesquelles bâtir une vision d’avenir pour les arts et l’apprentissage.
Tout en reconnaissant que l’éducation artistique doit atteindre ses objectifs dans le contexte d’un monde aux prises à des changements rapides, L’Agenda de Séoul ne doit aucunement être perçu comme une série de projections futuristes. Plutôt, il suppose un niveau de stabilité au sein des structures éducatives et sociales, proposant des mesures concrètes grâce auxquelles les éducateurs artistiques peuvent aider à résoudre les défis liés à l’accès, à la qualité et la pertinence au sein de ces structures. Une vision d’avenir pour les arts et l’apprentissage devra s’attaquer à ces mêmes défis, non pas dans l’optique de les rendre manifestes dans les écoles et les projets communautaires d’aujourd’hui, mais plutôt dans l’optique de réaliser ces intentions dans un monde qui sera profondément différent de celui que nous connaissons. En échafaudant une telle vision, toutes les parties prenantes seront appelées à se demander comment l’éducation artistique peut faire une différence dans un monde qui pourra se trouver détaché des institutions et des pratiques dans lesquelles est ancrée notre compréhension actuelle.
Par exemple, nous pourrions nous demander comment les parties prenantes d’aujourd’hui envisagent le statut et le rôle de l’éducation artistique dans vingt ans.
- Dans vingt ans, quels seront les modes d’accès à l’éducation artistique?
- Dans vingt ans, quels seront les critères de qualité en matière d’éducation artistique?
- Dans vingt ans, comment l’éducation artistique sera-t-elle employée pour surmonter les défis sociaux et culturels auxquels le monde sera confronté?
- Dans vingt ans, en quoi consistera le rôle des éducateurs artistiques?
Alors que nous nous engageons en ces contrées inconnues, il sera utile de considérer comment des pays, des districts et des organismes visionnaires s’y sont pris pour mettre en œuvre des innovations qui pourraient nous aider à élaborer une approche progressive en matière d’éducation artistique. Il faudra considérer comment ils ont élargi la perception conventionnelle de l’éducation de façon à inclure les expériences numériques et extramuros, de même que l’apprentissage à vie. Nous nous pencherons également sur l’incidence de l’apprentissage personnalisé, holistique et interdisciplinaire. Nous rechercherons des exemples de pédagogies de plus en plus interactives, autodirigées et intergénérationnelles. Nous chercherons à comprendre comment l’éducation artistique peut aider à atteindre des objectifs durables liés à la santé et au bien-être physiques et mentaux, à la justice sociale et la réconciliation, à la compréhension interculturelle, à la cohésion sociale, à la démocratie et à la résolution de conflits. Par ailleurs, nous identifierons les manières dont l’éducation artistique peut contribuer à l’élaboration d’une vision du monde humaniste à l’image des changements actuels, et d’une conception de l’éducation artistique qui éclairera les nouvelles identités personnelles et sociales des apprenants et de guider le comportement éthique des citoyens de l’avenir.
Si nous avons la conviction profonde que les arts et l’apprentissage seront forcément appelés à jouer un rôle central dans tout paradigme éducatif, c’est parce que nous savons que les racines des pratiques artistiques remontent très loin dans la préhistoire de l’évolution humaine, comme en témoignent la découverte de fragments de flûtes dans des établissements néanderthaliens vieux de 43 000 ans. Nous sommes, dans notre essence même, une espèce artistique. Depuis des millions d’années, nous communiquons et apprenons par le biais des arts. Nous avons fait des arts une manière de ritualiser et donc de mythifier les expériences humaines. À travers les arts, nous avons sondé les profondeurs de notre humanité et atteint nos plus hautes aspirations spirituelles. Un monde sans les arts est un monde sans humanité.
Si certains exemples précis de pratiques artistiques reflètent clairement les conditions culturelles et économiques dans lesquelles elles voient le jour, il est tout aussi vrai que les arts ont le potentiel de s’adapter à des circonstances changeantes, de s’adresser aux générations futures dans des circonstances jusque-là inimaginées, de nous servir de modèle pour élaborer des pédagogies interactives et axées sur l’autoapprentissage, de promouvoir le développement profond et durable de compétences sociales et émotionnelles, d’accroître le bien-être des apprenants et de favoriser le type de capacité créative qui s’avérera essentielle pour tous ceux et celles qui seront appelés à réagir à des défis et des possibilités que nous ne pouvons pas encore imaginer.